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Publié par J. Sename (LDH-Dunkerque)

Dès qu'il est question de migrants, de réfugiés, d'exilés, les médias évoquent longuement la situation à Calais. Il est plus rarement question de Grande-Synthe, sauf depuis que le maire EELV de cette commune de la banlieue de Dunkerque, Damien Carème, a défrayé la chronique en créant le premier camp humanitaire en France dédié à l'accueil desdits migrants.

De fait la situation des deux communes, l'une et l'autre en face de la Grande-Bretagne destination privilégiée de ces derniers, aurait dû inciter, on le verra, nombre de « responsables » à bannir de leur vocabulaire des expressions telles que : « appel d'air », « point de fixation », etc.... La France septentrionale est tributaire de sa situation géographique. Ce qui fait dire aux associatifs que l'on rencontrera encore longtemps des migrants transitant par les « Hauts de France » : ce que les ministres de l'Intérieur successifs éprouvent toujours beaucoup de difficultés à comprendre et à admettre.

 

LES FAITS

Avec la fermeture fin 2002 du centre d'accueil de Sangatte, opération censée régler le problème des migrants (!), ces derniers, faute d'alternative, se dispersèrent dans le Calaisis et le Dunkerquois. C'est ainsi que dans ce second secteur des camps apparurent spontanément à Loon-Plage, Grande-Synthe, Téteghem, voire dans l'arrière-pays (Steenvoorde). S'y regroupèrent, de préférence par nationalités, 50, 100, 200 candidats au passage outre-Manche. Vivant de façon précaire dans des espaces boisés ou dunaires, complètement délaissés par les services de l'Etat hormis la police..., les exilés bénéficièrent alors en période hivernale, de chapiteaux chauffés, notamment sur Grande-Synthe et Loon-Plage, également de l'aide résolue des bénévoles des associations leur apportant quotidiennement repas, couvertures, vêtements.

Considéré comme trop proche du terminal des ferries assurant la liaison vers Douvres, le camp de Loon-Plage fut le premier à être rasé en 2010 à la demande des autorités portuaires de Dunkerque.

Celui de Téteghem connut le même sort en novembre 2015 à la demande expresse cette fois du maire LR de cette commune. Lâchés dans la nature, les expulsés convergèrent tout naturellement vers le dernier camp encore ouvert, celui dit du « Basroch » à Grande-Synthe. Un espace boisé en pleine ville sur lequel la municipalité avait aménagé un cheminement, installé un point d'eau et mis en place des chalets en bois chauffés l'hiver. En Juin 2015, on y dénombrait une centaine de migrants. En décembre le chiffre monta à plus de 2200 cantonnés évidemment dans les pires conditions.

Damien Carème décida alors contre l'avis de l’État de créer un autre camp, le premier humanitaire jamais créé en France avec l'aide notamment de MSF qui apporta un appréciable complément de financement. Les 7, 8 et 9 mars 2016, eut lieu le déménagement en autobus par la mairie et la vingtaine d'associations œuvrant au Basroch de 1050 familles et individus vers le lieu-dit « la Linière ». Sur une vaste plate-forme à la périphérie de la ville, mais à proximité de l'autoroute littorale et d'une grande surface commerciale, les déplacés trouvèrent entre autres des « bungalows » en bois sommairement équipés, des sanitaires, une cuisine collective. L'ensemble prévu pour accueillir 1500 personnes fut géré par des associations, en premier lieu « Utopia 46 » à laquelle succéda ensuite l'  « Afeji » implantée localement. A noter que la Préfecture mit à l'abri pour sa part quelque 300 personnes. Les autres, craignant peut-être une accentuation des contrôles policiers, se dispersèrent dans la nature plus décidés que jamais à passer en Grande-Bretagne.

Le démantèlement de la « jungle » de Calais et l'expulsion de leurs occupants en octobre-novembre 2016 provoquèrent immanquablement la venue de nombreux Afghans à la Linière où les Kurdes étaient jusqu'alors majoritaires. S'en suivirent bien sûr de vives tensions entre les deux communautés, en particulier pour l'occupation des abris insuffisamment nombreux pour absorber cet afflux. En mars-avril de cette année, le chiffre des occupants monta à près de 2000. Et c'est ainsi que le 11 avril, une rixe entre Kurdes et Afghans dégénéra.. Le feu fut mis à la cuisine dans laquelle des Afghans passaient la nuit, En réplique, ces derniers incendièrent des abris occupés par des Kurdes. Attisée probablement par des passeurs qui,dans un camp contrôlé à son entrée par les CRS, avaient perdu la main sur les candidats au passage outre-Manche, la bataille rangée dégénéra au point que lorsque police et pompiers maîtrisèrent la situation, 80 % des abris étaient partis en fumée avec les affaires personnelles et les papiers de leurs occupants. Dans les heures qui suivirent, le camp fut évacué et les migrants consentants regroupés dans 5 gymnases de l'agglomération. 700 d'entre eux par contre préférèrent s'éclipser dans la nature environnante....

Aux lendemains de cette catastrophe, le ministre de l'Intérieur venu sur place décréta que l'expérience de la Linière, « c'était terminé !», alors que 15 jours plus tôt son collègue du Logement avait signé une convention de renouvellement de cet hébergement humanitaire avec le maire de Grande-Synthe et l'association gestionnaire.

Dans la foulée, décision est alors prise par l’État de diriger les « sinistrés » vers des « Centres d'Accueil et d'Orientation » (CAO) peu ou prou improvisés aux quatre coins du pays. Les associations qui, en dépit de ce triste événement, n'avaient pas relâché leurs interventions sur le terrain (aide juridique, repas, soins, etc...), sont totalement exclues du processus. Pas d'information sur la destination prise par ceux dont elles s'occupent et suivent les dossiers. Le flot de nouveaux venus ne se tarit pas pour autant, certains ayant fui les CAO pour regagner le littoral. Tous se trouvent condamnés à l'errance, s'efforçant de constituer à nouveau des mini-jungles sur Grande-Synthe et ailleurs. Des regroupements que les forces de l'ordre ont mission de disperser en utilisant les grands moyens : destruction des refuges de fortune et de leur contenu, lacrymogènes, gazages au poivre sans discernement....

Ce retour en quelque sorte à la case-départ aurait pu décourager définitivement Damien Carème. S'appuyant sur le comportement exemplaire de ses administrés qu'il n'a cessé d'informer sur la situation et les initiatives prises à contre-courant par d'autres collectivités ( Calais par exemple), le maire de Grande-Synthe veut contre l'avis du ministre de l'Intérieur et de nombre de ses collègues maires du secteur, rétablir un campement en dur, mieux contrôlé et tout autant humanitaire. Réussira-t-il à mener à bien ce nouveau pari, alors qu'il est sûr que dans ce monde agité que nous connaissons, il y aura encore longtemps des candidats à un ailleurs qu'ils espèrent plus humain ? C'est le nouveau challenge que les associations soutiennent de toutes leurs forces.

UN POINT DE VUE ASSOCIATIF

Dans un partage des rôles la LDH-Dunkerque, qui n'est pas une association caritative, s'est investie prioritairement dans l'accueil et le suivi des étrangers voulant, eux, s'intégrer en France, et dont plus grand monde ne s'occupait. Ce qui ne l'empêche pas néanmoins de s'engager en faveur des migrants en participant au « Carrefour des Solidarités » et au « Collectif Migrants » qui ont vu le jour sur le secteur et qui sont des structures politiques (au bon sens du terme) de réflexion, d'échanges entre associations, d'action en direction des Pouvoirs Publics et de soutien aux initiatives prises par les élus comme Damien Carème et les citoyens.

 

De l'expérience vécue depuis plus de 15 ans sur le littoral dunkerquois émergent les points suivants :

- patrie dite des « Droits de l'Homme et des Citoyens » (dans les discours!), la France au regard de ce qui se passe à Grande-Synthe et en comparaison avec les actes posés par des pays comme le Liban, la Jordanie, plus près de nous l'Allemagne, a tourné le dos à ses idéaux et mène à l'égard des migrants, comme en général des étrangers, une politique axée sur la restriction des libertés de circuler, la non-assistance à personnes en danger, l'intransigeance,l'arbitraire, la répression policière.

- à quelque niveau qu'ils se situent : parlementaires, conseillers régionaux, départementaux, élus locaux se sont réfugiés pour la plupart dans l'immobilisme, l'absentéisme, n'hésitant pas parfois à interdire l'accès de leur commune pour orienter les arrivants vers la collectivité voisine. Au lendemain de l'incendie de la Linière, un député, des maires se permirent de fustiger leur courageux collègue de Grande-Synthe dans les médias : « on vous l'avait bien dit... » Prétextes invoqués : la montée de l'extrême-droite, les craintes exprimées par leurs administrés devant la venue d'étrangers incontrôlés. A Grande-Synthe on observera que la population s'est montrée très majoritairement tolérante, voire accueillante envers les migrants, même quand ils étaient 2500 dans le bidonville du Basroch, qu'elle a majoritairement soutenu le maire alors que la ville compte environ 25 % de jeunes chômeurs et que de nombreuses familles vivent sous le seuil de la pauvreté. Autre point positif aussi : la Communauté Urbaine pour sa part contribua à l'accueil des arrivants (points d'eau, hygiène, assainissement), en remboursant également 50 % des frais engagés par les associations pour la distribution des repas. Dans le même esprit, des grandes surfaces, des petits commerçants attribuèrent aux associations leurs surplus, leurs invendus pour étoffer les repas distribués quotidiennement.

- en dépit des moyens policiers mis en œuvre, les passeurs n'ont cessé de sévir sur le campement et hors campement, rendant la vie des migrants encore plus problématique. Surfant sur l'enfermement des familles et des individus derrière une frontière localisée en France de plus en plus hermétiquement fermée (sans obstacle à franchir, il n'y aurait pas de passeur!), ils n'ont cessé d'exploiter financièrement les réfugiés en leur soutirant des milliers d'euros pour un passage aléatoire. Une cinquantaine d'entre eux ont été arrêtés et emprisonnés. Ce n'était sûrement que des comparses. Les « gros bonnets » pour qui ils rabattaient coulent des jours tranquilles au-delà des mers. C'est ceux-là que la communauté européenne devrait mettre hors d'état de nuire.

- les CAO qui permettent à ceux qui les rejoignent de connaître quelque répit dans leurs longues pérégrinations, d'être au chaud en période d'intempéries, de progresser peut-être dans l'élaboration de leurs dossiers d'admission au séjour ne sont pas la panacée. S'ils sont décidés à passer outre-Manche, les migrants les quittent tôt ou tard pour revenir dans les zones littorales.

- les associatifs de toute obédience laïque, religieuse, sanitaire issus d'une vingtaine d'associations œuvrent de manière le plus souvent concertée. Ils sont souvent épaulés par des groupes étrangers :britanniques, belges, hollandais, allemands, apportant à temps et...à contretemps de la nourriture, des vêtements, du matériel de couchage au gré de leurs passages. Tous ont souvent le sentiment d'être méprisés par les autorités, d'être considérés comme des pions, de surcroît inquiétés parfois par une police tatillonne et procédurière. Ils ne veulent pas être les supplétifs d'un Etat défaillant dans la prise en compte d'un véritable drame humanitaire dont chacun sait qu'il perdurera. Et pourtant ils le sont

- Les groupes de migrants ne sont pas homogènes. Ils viennent, avec leurs particularismes, leurs empathies ou antipathies, de divers pays en guerre ou connaissant de graves difficultés. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas tous des marginaux, issus du « bled ». Au contraire nombre d'entre eux sont cultivés, anglophones, ont fait des études, étaient commerçants, médecins, cadres moyens chez eux. Comment auraient-ils pu réunir autrement des sommes considérables pour passer seuls ou en famille en Europe dans les conditions que l'on sait ? Généralement jeunes, ils côtoient désormais un nombre grandissant de mineurs isolés porteurs des espoirs de leur famille dans une vie meilleure. A leur arrivée, ceux-ci sont dirigés vers des foyers où ils restent jusqu'à leur majorité, bénéficiant légalement entre temps d'une scolarité.

 

Pour la Ligue des Droits de l'Homme, il est clair que doivent être appliquées aux migrants en transit en France toutes les recommandations et règles inscrites dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et notamment celles qui se trouvent neutralisées, détournées par la mise en application d'accords comme ceux de Dublin ou du Touquet.

 

Pour compléter utilement votre information, lire « DECAMPER », « un livre de textes et d'images et un disque pour parler d'une terre sans accueil » (édition La Découverte, 320 pages, illustrations, 24€)

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