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L’ombre d’Alliance Vita et de la Fondation Jérôme Lejeune

« Clause de conscience » elle avait été évoquée par certains maires et élus municipaux pour se soustraire au mariage des personnes de même sexe, aujourd’hui elle est évoquée dans un projet de l’ordre des pharmaciens qui voudrait l’introduire dans son nouveau code de déontologie.
Dans les deux cas officient les mêmes activistes proches de la mouvance catho intégriste anti-mariage gay, anti-avortement. Voir ci-après tous les raisons du soupçon. Pourraient être visés évidemment les contraceptifs qui dérangent tant ces activistes. Vigilance, vigilance

« Ethique », « liberté de conscience », « clause de conscience », autant de concepts qui renvoient au plus profond de chacun, à ses convictions, à son libre arbitre. Néanmoins, ils reposent aussi sur la subjectivité et sur l’idée que l’on peut se faire d’une question à un moment donné. Outils de travail collectifs indéniables, détournés par des groupuscules ils peuvent prendre une teneur toute autre. La question de la clause de conscience pour les pharmaciens est sans doute une illustration des dérives possibles de ces concepts.

Quarante cinq ans plus tard mais toujours avec le soutien de la nébuleuse intégriste catholique, certains semblent vouloir rejouer la pièce du professeur Jérôme LeJeune dans sa croisade contre l'avortement.

Dans l'intervalle, les connaissances ont évoluées et les pratiques aussi. L'arrivée du RU486, ou pilule du lendemain, a sensiblement changé la donne, et le débat sociétal s'est, quant à lui, déplacé vers l'accompagnement de la fin de vie. Deux points, qui néanmoins font tousser assez fortement la frange la plus réactionnaire du catholicisme, façon Fraternité Saint Pie X, Emmanuel ou Opus Dei, ainsi que leurs vitrines militantes Civitas et Alliance Vita.

Déjà en 2004, Civitas apportait son soutien à l'Association de réflexion pour une meilleure délivrance du médicament sise à Ploërmel (56), béquille pour des pharmaciens aux convictions torturées par la Loi [1]

Plus récemment, en mars 2016 à Salleboeuf en Gironde, l’unique pharmacien a été suspendu une semaine par son Ordre pour avoir refusé de vendre des contraceptifs invoquant ses convictions religieuses. Coutumier du fait, il avait déjà été sanctionné en 1995, et avait porté l’affaire jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme qui l’avait désavoué, statuant  qu’il "ne pouvait faire prévaloir ses convictions religieuses pour justifier ce refus de vente". Le site Gènéthiqe.org, animé par la Fondation Jérôme Lejeune lui apportera son soutien [2].

Dès 2013, Alliance Vita passe la démultipliée et affirme : « La clause de conscience est la reconnaissance par l’Etat de ce « droit d’opposition », dans certains cas précis où des valeurs fondamentales sont en jeu ». Souhaitant aussi que la clause de conscience dont bénéficie les médecins depuis la Loi sur l’IVG de janvier 1975, puisse être étendue aux pharmaciens [3]. C’est vrai qu’en 1975 le RU486 n’était pas encore connu...

En 2013, Camille Youanc, future pharmacienne, est invitée à participer à une réflexion sur « l’objection de Conscience » par « Le Réseau Saint'Ethique » (sic). « Réseau de formation et de mise en relation entre étudiants et jeunes professionnels de santé » pour « approfondir et promouvoir une culture éthique d'inspiration catholique et basée sur une philosophie réaliste auprès des étudiants et professionnels de santé, tout en favorisant la sanctification de ses membres. » [4] [5]. Il revendique aussi sa proximité avec une nébuleuse d’organisations et de structures voisines (Alliance Vita, SOS tous petits, ACIM, Objection de la Conscience, Réseau Pharmac’éthique, Génèthique.org). Dans cette pelote on y retrouve les acteurs importants d’Alliance Vita ou de la Fondation Jérôme Lejeune.

Après avoir soutenue sa thèse de pharmacie en juin 2014, sur la " Transcription de Missions du pharmacien d'officine: distribution ou dispensat - Missions du pharmacien d'officine: distribution ou dispensation responsable ? » dont le fil rouge est la clause de conscience pour les pharmaciens, Mme Yaouanc va rapidement animer le réseau Pharmac’éthique [6]. Et devenir l’une des trois rédactrices du site Génèthique.org, aux côtés de Jean-Marie Le Méné actuel Président de la Fondation Jérôme Lejeune, réputée proche de l'Opus Dei [7].

Pour cet écheveau de la pensée intégriste les années 2015 et 2016 vont être l’occasion de sensibiliser le monde de la pharmacie à la clause de conscience, au travers de conférences et de week-ends organisés sur le sujet.

Fin 2015, l’Ordre des pharmaciens a estimé que « face aux évolutions de la profession et de la société, il s’avère nécessaire de procéder à des adaptations » du code de déontologie de la profession, datant de 1995. Pour préparer le nouveau document, Mme Isabelle Adenot, Présidente du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) « a interrogé les 75 000 pharmaciens et tous les syndicats » sur la question de la clause de conscience. Comme souvent face à des sollicitations multiples, seuls « 3 000 pharmaciens ayant répondu début 2016, [dont] 85 % voulaient une clause de conscience » (Le Monde, 19.07.2016).

Ce chiffre repris par différentes organisations et journaux devient «  85 % des pharmaciens sont favorables à l’introduction d’une clause de conscience dans le code de déontologie, comme l’a montré le sondage CSA. Nous espérons que ce son de cloche soit entendu ! » (Famille Chrétienne, 22.07.2016, Gènéthique.org, 16.05.2016)

Si la clause de conscience figurait dans le nouveau code de déontologie, le pharmacien sanctionné en mars 2016 ne le serait donc plus. "C'est un véritable recul pour la prise en charge des patients et surtout des patientes. A partir du moment où il y a une base légale, c'est la porte ouverte à des dérives importantes. Il s'agit là d'une véritable perte de chance pour les patientes, notamment celles qui vivent en zones rurales et qui devraient parcourir des kilomètres pour trouver une pharmacie qui accepte de leur délivrer une contraception ", s'indigne La gélule qui s'exprime au nom d'un collectif de pharmaciens unis contre cette clause. (site EGORA – actualités médicales, 20.07.2016)

Indignation aussi du côté de la ministre du droit des femmes Laurence Rossignol qui a publié un communiqué intitulé "Consultation sur la création d’une clause de conscience pour les pharmaciens : l’accès à la contraception et à l’IVG ne peut être remis en cause". "Si cette consultation était suivie d’effet, elle ouvrirait clairement la possibilité pour des pharmaciens de refuser de délivrer la contraception d’urgence (pilule du lendemain), la pilule, le stérilet ou même le préservatif. (…) Quel que soit le résultat de cette consultation, le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis. Il serait raisonnable de la part de la Présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de clarifier l’objet de cette consultation et de réaffirmer l’attachement de l’Ordre à assurer aux femmes leur autonomie et la liberté de choisir leur contraception".

Une pétition adressée à Isabelle Adenot, présidente du CNOP intitulée " Nous refusons la clause de conscience pour le pharmacien" a recueilli en quelques jours la signature de plus de 10 000 pharmaciens, l’amenant à un rétropédalage et d’afficher sur le site du CNOP le communiqué suivant (22.07.16): « Devant l’émoi et l’incompréhension suscité par cette réflexion collective, sans compter sur les instrumentalisations qui en ont été faite, le Bureau du conseil de l’Ordre des pharmaciens, présidé par Isabelle Adenot, a pris aujourd’hui deux décisions. D’une part, le Bureau suspend la consultation des pharmaciens sur le projet,  le contexte actuel n’étant plus propice à une réflexion éclairée et mesurée. D’autre part le Bureau demandera au Conseil National de l’Ordre des pharmaciens réuni le 6 septembre prochain de ne pas maintenir en l’état le projet de clause de conscience. Ce qui prime pour l’Ordre est le lien de confiance entre les français et les pharmaciens. »

Le fait que  le bureau du CNOP demandera le 6 septembre « de ne pas maintenir en l’état le projet de clause de conscience », n’est pas vraiment explicite, ce que la presse a largement remarqué.

Suite le 6 septembre, mais la vigilance reste nécessaire plus que jamais sur les questions touchant au droit à  l’avortement, et aux droits des femmes.

Références :
(1) http://www.civitas-institut.com/content/view/97/75/
(2) http://www.genethique.org/fr/clause-de-conscience-du-pharmacien-le-debat-est-relance-65488.html
(3) http://www.alliancevita.org/2013/06/les-clauses-de-conscience-reconnues-en-france/
(4) http://reseau-saint-ethique.blogspot.fr/2013/12/qui-sommes-nous.html?m=1
(5) http://www.journal-officiel.gouv.fr/association/index.php?ACTION=Rechercher&HI_PAGE=1&HI_COMPTEUR=0&original_method=get&WHAT=%22SAINT%27ETHIQUE%22&JTH_ID=&JAN_BD_CP=&JRE_ID=&JAN_LIEU_DECL=&JTY_ID=&JTY_WALDEC=&JTY_SIREN=&JPA_D_D=&JPA_D_F=&rechercher.x=0&rechercher.y=0
(6) https://prezi.com/jpncalahndc-/missions-du-pharmacien-dofficine-distribution-ou-dispensat/
(7) http://www.genethique.org/fr/qui-sommes-nous-701.html

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